mardi 16 mai 2017

La Femme qui donnait à manger aux chiens, de Kristien Hemmerechts,

« À l’été 2012, de vieilles blessures ont été rouvertes en Belgique quand on a su que Michelle Martin, l’ex-femme et complice de Marc Dutroux, serait libérée sur parole. J’essayais de savoir ce qui pouvait se passer dans sa tête. »
Kristien Hemmerechts

La Femme qui donnait à manger aux chiens est le roman de cette histoire terrible.
Elle est la femme la plus haïe de Belgique. Elle passe ses journées en prison, après avoir été la complice de terribles crimes sexuels commis par M, son époux et le père de ses trois enfants. Elle n’a jamais cherché à l’arrêter. Elle a fait tout ce qu’il lui demandait. Presque tout. Elle sera bientôt libérée sur parole, et transférée vers un couvent. Pour travailler. Et lorsqu’elle ne travaillera pas, elle priera. Qui est cette femme ? N'est-elle qu’un monstre sans scrupule ?
Quatrième de couverture par Galaade.
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« Il y a des fruits qui pourrissent sans jamais avoir mûri.
J’étais un de ces fruits. »
P. 243

Lecture particulière que La Femme qui donnait à manger aux chiens.
Cette femme nourrissait les chiens, mais n’a pas nourri les deux petites filles kidnappées par son mari et qui sont mortes de faim, alors que Marc Dutroux était en prison et que plus rien ne retenait Michelle Dutroux de libérer les deux petites.
Si la folie de Marc Dutroux a été confirmée depuis le début, celle de Michelle Dutroux, désormais Michelle Martin qui a retrouvé son nom de jeune fille, a toujours provoqué de vifs débats. Était-elle aussi perverse que son époux ? Ou était-elle aussi victime que les enfants ?

« Tu crois que c’est pour mon plaisir que je viole des femmes ? se plaignait-il. Tu ne comprends pas que je préférerais m’asseoir tranquillement chez moi devant la télé ? Ai-je demandé à avoir un pénis ?
— Non, chéri. »
P. 165

L’affaire Dutroux résonne encore 20 ans plus tard : Michelle Martin est libérée pour être emmenée dans un couvent, loin du monde. Pour la Belgique, peu importe qu’elle soit dans un couvent ou une maison : elle n’est plus en prison et c’est une honte, une insulte aux victimes et à leur famille. Au milieu, Kristien Hemmerechts ose écrire un roman qui tente de comprendre qui est cette femme la plus haïe de Belgique.

En 2012, quand la Justice a déclaré que Michelle Martin serait en liberté conditionnelle, 
les caricaturistes ont exprimé leur colère et leur désarroi.

Écrit à la première personne, le roman se présente comme un témoignage de la vie qu’a menée Michelle Martin, devenue Odette dans le livre. Son mari est devenu tout simplement M, qui peut vouloir dire Marc, Marc Dutroux, Monstre… Mais on ne peut se tromper sur les identités où les détails sont précis (l’amour pour le patinage artistique, le métier d’électricien, le côté possessif de la mère d’Odette, etc).

Ce monologue est un témoignage de la vie, avant et après les crimes, mais pas pendant : l’affaire Dutroux n’est pas perçue par Michelle pardon, Odette. En fait, elle n’est qu’abordée par bribes. Pourquoi cette femme n’a pas signalé à la police la présence des deux petites filles condamnées à mourir de faim ? Pourquoi les a-t-elle laissées mourir de faim ? Kristien Hemmerechts ne s’aventure pas sur ce plan juridique.
C’est même le seul défaut que je reproche à La Femme qui donnait à manger aux chiens (le livre, hein, pas la femme elle-même) : il est impossible de savoir le vrai du faux, l’affirmé du supposé, les faits du fictif. Il est facile de trouver des résumés de l’affaire Dutroux, le monstre qu’il était et l’ambiguïté de sa femme, si elle était cruelle ou manipulée, mais des documentaires qui s’intéressent à leur vie, la source de ces drames, le pourquoi du comment sont inexistants. Même plus, j’aurais aimé savoir si Kristien Hemmerechts avait contacté Michelle Martin pour discuter avec elle.

Par contre, j’ai beaucoup aimé ces réflexions travaillées, peu importe qu’elles soient recueillies auprès de Michelle Martin ou tout simplement imaginées : comment est le monde après vingt ans de prison ? Comment gérer les médias avec sa famille ? Pourquoi cette affaire continue de remuer la Belgique trente ans après alors qu’il y a eu d’autres drames ? Notamment le crime commis par Geneviève Lhermitte qui a tué ses cinq enfants.
Mais là encore, ça soulève un nouveau point et pour revenir au point précédent : la comparaison entre Michelle Martin et Geneviève Lhermitte vient-elle de l’auteure ou était-ce réellement une réflexion de l’ex-femme de Dutroux ?
[à gauche, Geneviève Lhermitte, celle qui a tué ses propres enfants, à droite, Michelle Martin, celle qui a tué indirectement les enfants d’autres parents.]

Même si je reste sur ma faim (sans jeu de mots horrible) concernant ce livre pour le manque de renseignements pour le lecteur, La Femme qui donnait à manger aux chiens est un livre très intéressant : il ne glace pas d’effroi comme la couverture le laisserait supposer, il provoque plutôt un certain dégoût en imaginant comment Marc Dutroux a pu traiter sa femme (ou les femmes en général), comment lui-même a pu être traité gamin… Mais pas de détails sordides.
Des suppositions suggéraient que si les Dutroux s’étaient montrés aussi monstrueux avec leurs victimes, c’est qu’eux-mêmes avaient été autrefois des victimes : une théorie soutenue par le roman, sans trop aller vers l’excès.
Une lecture particulière, très délicate mais intéressante, il vaut mieux connaître un peu l’affaire Dutroux avant de se lancer dans ce roman par contre. (vous trouverez de quoi regarder sur internet)

« Moi aussi, j’étais désolée.
Ça s’appelle un père, pensai-je avec sarcasme. Comment le même mot pouvait-il servir pour [le père de M] et pour [le mien] ? »
P. 140

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• La première édition de demi-grand-format de Galaade porte le titre de La Femme qui donnait à manger aux chiens, la version poche (du Livre de Poche) s’intitule en revanche Celle qui donnait à manger aux chiens.
• Publié la même année de la libération de Michelle Martin qui est partie vivre dans un couvent, le livre de Kristien Hemmerechts a été très, très mal accueilli en Belgique : pour beaucoup, l’auteure excuse le comportement de la femme la plus détestée de Belgique, elle trouve des explications autres que "cette femme est un monstre". Malgré les vingt ans écoulés, le cas de Michelle Martin met encore en colère la population belge.
• Le cas de Geneviève Lhermitte a choqué la Belgique mais ne s’est pas autant imprimé dans les mémoires que celui de Michelle Martin. Ceci dit, n’hésitez pas à chercher des documentaires, le cas est intéressant également. Et accordez une pensée à Bouchaib Moqadem, le père des cinq enfants tués.

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