lundi 24 avril 2017

La Curée, d'Emile Zola,

À la fin d’une chasse, pendant la curée, les chiens dévorent les entrailles de la bête tuée. Pour le jeune Zola, qui déteste son époque, c’est le cœur de Paris, entaillé par les larges avenues voulues par Napoléon III, que des spéculateurs véreux s’arrachent. Ce deuxième volume des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, est l’un des plus violents. Zola ne pardonne pas ces fortunes rapides qui inondent les allées du Bois d’attelages élégants, de toilettes et de bijoux éclatants. Aristide Saccard a réussi, mais tout s’est dénaturé autour de lui : son épouse, Renée, la femme qui se conduit en homme, si belle et désœuvrée ; son fils Maxime, l’amant efféminé de sa belle-mère. On accusa Zola d’obscénité. Il répliqua : « Une société n’est forte que lorsqu’elle met la vérité sous la grande lumière du soleil. » 
Quatrième de couverture par Le Livre de Poche (Les Classiques de Poche).
---

« — Vous allez voir, murmura M. Hupel de la Noue ; j’ai poussé peut-être un peu loin la licence poétique ; mais je crois que l’audace m’a réussi… La nymphe Écho, voyant que Vénus est sans puissance sur le beau Narcisse, le conduit chez Plutus, dieu des richesses et des métaux précieux… Après la tentation de la chair, la tentation de l’or.
— C’est classique, répondit le sec M. Toutin-Laroche, avec un sourire aimable. Vous connaissez votre temps, monsieur le préfet. »
P. 296

C’est dommage d’avoir ouvert La Curée en période de révisions car j’aurai fini ce second tome des Rougon-Macquart bien plus tôt sans ça, car cette lecture fut excellente !
La Fortune des Rougon avait été une lecture lente où j’avais pris beaucoup de notes (j’ai conçu un carnet tout Rougon-Macquart) et la première partie très axée généalogie n’était pas facilement digeste. Mais enfin, si Zola s’était étendu au lieu de balancer toutes les infos, sa saga ne ferait pas vingt tomes mais trente.

La Curée ne souffre pas de ce handicap : ce tome commence fort, il est rythmé et je sens que je rentre vraiment dans le monde de ce naturaliste accusé d’obscénité. J’avoue que La Curée m’a surprise à plusieurs reprises : Emile Zola ose, il fonce même dans le lecteur en le heurtant avec des sujets que je n’aurais jamais cru lire dans un classique de la littérature française (comme quoi, non : les classiques ne sont pas toujours chiants). Je vous laisse découvrir l’audace de l’auteur, mais en tout cas, George R. R. Martin peut aller se rhabiller avec son Trône de Fer jugé trash.

Je ne dirais pas que La Curée est sanglant : pas de meurtre, pas de sang… La violence seulement suggérée mais suffisamment mise en évidence. Je vais même me risquer à affirmer que Zola est facile à comprendre : il a une écriture fluide, accessible et il suffit de rentrer dans l’histoire pour saisir les métaphores et adhérer à son écriture très imagée. À titre d’exemple : on n’assiste à aucune curée dans le roman, mais le bal où les riches se jettent sur le buffet dans des costumes de valeurs, où ils se vautrent sur les nappes et se marchent dessus est un écho évident, mais habile et efficace.
Je vais continuer d’exprimer mon amour pour le style de Zola, car je n’écrirai jamais assez d’éloges sur cette écriture vraiment magnifique. Elle est complète, elle est réfléchie, elle est poétique…

C’est d’ailleurs cette écriture qui porte les moments les plus forts. J’ai été marquée par cette opposition entre les salons saturés de faste, de luxe et de lourd qui sert de verni à une société en réalité sauvage, un trait qui s’exprime, de façon plus doute, dans les jardins, les parcs… Toute cette vergeture est un élément récurrent, qui entoure le personnage de Renée Saccard et traduit son âme farouche, libre.

Comme pour La Fortune des Rougon, les personnages ne sont pas sympathiques mais Zola ne s’encombre pas de manichéisme : c’est le principe du naturalisme après tout que d’analyser l’homme sous les lumières de la vérité. Et ici, c’est un pari réussi, car si le style est réfléchi, les personnages le sont également, et je les ai aimés dans leur rudesse, leur perversité et leurs projets.
« — Oh ! ces affaires !... J’ai la tête brisée, ce matin… Allez, je vais signer ce billet de quatre-vingt mille francs. Si je ne le faisais pas, ça me rendrait tout à fait malade. Je me connais, je passerais la journée dans un combat affreux… J’aime mieux faire les bêtises tout de suite. Ça me soulage. »
P. 203

J’ai donc lu les deux premiers tomes des Rougon-Macquart, il m’en reste dix-huit et ça ne me fait pas peur : j’espère bien tous les lire et savourer chaque tome si la qualité est au rendez-vous comme ça. Zola s’inscrit déjà parmi mes auteurs favoris.
Je ne relis jamais, toutefois Victor Hugo a écrit à Zola le 25 octobre 1871 « Le succès, c’est d'être lu ; le triomphe, c’est d'être relu. » : je relis mes passages favoris, donc c’est tout comme !

La couverture me permet de valider l’idée n°44 du Challenge des 170 Idées :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Zola écrit sur la vie faussement huppée des arrivistes, les nouveaux riches de Paris, et se concentre sur deux éléments qu’il met en avant : « l’or et la chair ». Mais il apporte aussi un véritable travail sur l’architecture de Paris et les changements que va apporter le baron Haussmann.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire