jeudi 12 février 2015

Seul dans Berlin, de Hans Fallada,

Mai 1940, on fête à Berlin la campagne de France.
La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d’un immeuble modeste de la rue Jablonski, à Berlin. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C’est Mme Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C’est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quangel, désespérés d’avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers.
De Seul dans Berlin, Primo Levi disait, dans Conversations avec Ferdinando Camon, qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie ». Aucun roman n’a jamais décrit d’aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité.
Quatrième de couverture par Folio.
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« — À son dernier congé, il m’a montré une photo qu’un de ses camarades avait prise de lui... Et il s’en est vanté, de cette photo !... On voit ton Karlemann tenant par une jambe un petit Juif de trois ou quatre ans et lui brisant la tête sur le pare-chocs d’une voiture.
— Non ! non ! crie-t-elle. Tu as menti !... Tu as inventé ça pour te venger, parce que je ne t’ai rien donné à manger !... Karlemann ne fait pas ça ! »
P. 50

Je ne me souviens pas d’avoir déjà lu un livre se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale, encore moins écrit à cette époque et avec un soupçon d’analyse sociologique. Donc pour une première lecture qui concerne cette période, Seul dans Berlin a été une très bonne surprise !

Mes lectures concernent habituellement des enquêtes durant l’Ère Victorienne, des luttes médiévales dans un temps lointain ou un univers totalement fictif… Cette fois, pas de crinoline ou d’épée, on nage en pleine paranoïa sociale, piégée par les symboles nazis et ce, dès le début du roman. Hans Fallada ne piétine pas et nous invite immédiatement dans cette ambiance angoissante et je suis rentrée très facilement dans l’histoire. À la lecture du résumé, j’avais un peu peur de tomber sur une kyrielle de personnages mais en fait, on les repère très vite et leurs histoires sont si bien articulées que le rythme est en réalité très fluide.

Enfin, l’intrigue est intense au début mais s’essouffle au fur et à mesure : certaines intrigues m’intéressaient, d’autres moins ou traînaient trop à mon goût. Par chance, Hans Fallada arrivait toujours à me surprendre et à me relancer dans son roman malgré sa plume assez linéaire, sans artifice. C’est très sobre et j’ai été plus touchée par les situations que par la narration. En contre partie, j’ai été de nouveau incapable de lâcher le roman quand j’arrivais aux derniers chapitres tellement j’étais curieuse de voir la conclusion qui attendait les Quangel, couple qui m’a beaucoup émue avec sa démarche. Écrire des cartes postales pour réveiller un pays semble complètement dérisoire et minuscule et pourtant, l’ironie est que c’était réellement un acte criminel et les conséquences intriguent le lecteur. Seul dans Berlin tient ses promesses donc et piège vraiment le lecteur dans cette triste ère. J’ai beaucoup aimé, malgré moi, le commissaire Escherich aussi et toute sa complexité, sans oublier Eva Kluge et le mystérieux Fromm.
En revanche, j’ai été déçue par la famille Persicke où j’avais l’impression que c’étaient les personnages les moins présents. Je m’attendais à ce qu’ils distillent plus de terreur mais leur rôle est finalement assez minime…

Les photographies d’Elise et Otto Hempel à gauche, à droite, une carte postale.
Zieutez « quelques anecdotes sur ce bouquin » pour en apprendre un peu plus.

Si je ne peux pas dire que Seul dans Berlin est un coup de cœur renversant, c’est en tout cas un livre marquant et émouvant qui m’a réconciliée avec les années 39-45 (je rejette la faute sur une très mauvaise prof’ d’Histoire qui me faisait littéralement dormir en cours à force de nous passer des documentaires assez creux et en ne manifestant aucune passion pour les explications) et je commence déjà à me tourner vers d’autres romans de la même période, en espérant qu’ils soient aussi riches que celui de Fallada.
Je retiendrai donc des personnages émouvants et un huis-clos cruel où les drames s’enchaînent lentement mais sûrement. Heureusement que Fallada laisse une petite note d’espoir dans sa conclusion en réservant un sort plus enviable à quelques uns de ses personnages.

Cette chronique se rattache à l’idée n°108 du Challenge des 170 Idées :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Hans Fallada n’a pas écrit son roman sous le Troisième Reich mais après, inspiré par un fait-divers qui avait été caché et qui a été ressorti à la fin de la guerre : l’affaire d’Otto et Elise Hampel, un couple qui a créé un mouvement de résistance en éparpillant dans Berlin des cartes postales pour dénoncer la cruauté de l’époque.
• Une pièce de théâtre a été adaptée en 2014 par René Fix et Luk Perceval, vous trouverez quelques infos ici et ailleurs sur le net.



dimanche 1 février 2015

Yvain ou le Chevalier au Lion, de Chrétien de Troyes,


Malgré l’amour qu’il porte à son épouse, la belle Laudine, le chevalier Yvain s’en va combattre aux côtés du roi Arthur. Il a fait le serment de revenir au bout d’un an. Mais il manque à sa promesse et perd l’amour de Laudine... Désespéré, Yvain erre alors d’aventure en aventure, suivi par un lion à qui il a sauvé la vie. Saura-t-il gagner, par l’éclat de ses prouesses, le pardon de celle qu’il aime ?
Quatrième de couverture par LivrAddict.
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« — Aimer ? Et qui ? — Vous, ma chère dame.
— Moi ? — C’est vrai, absolument. — De quelle manière ?
— D’une manière telle qu’il ne peut y avoir de plus grand amour,
telle que mon cœur ne vous quitte pas
et que jamais je ne le trouve ailleurs qu’auprès de vous ;
telle que je ne peux pas penser à autre chose ;
telle que je me donne à vous entièrement ;
telle que je vous aime plus que moi ;
telle que pour vous, et sans arrière-pensée,
je veux, selon votre gré, vivre ou mourir. »
P. 175

Ça y est ! Je me suis mise à attaquer le cycle du Graal avec le ouvrages originaux, signés par Chrétien de Troyes. J’avais déjà eu une approche en prose et résumé dans Arthur, Lancelot, le Graal : Le Grand Roman donc je me sentais d’affronter la traduction honnête d’un récit en vieux français.

Déjà, un petit éclaircissement sur ce point : même une néophyte comme moi n’a pas été gênée par ce type de narration et c’est même remarquablement facile à lire ! L’époque veut forcément que les descriptions soient secondaires et que les personnalités n’aient pas une psychologie trop creusée, mais quand on garde en tête ces deux caractéristiques de la littérature de cette époque, on peut passer un excellent moment.

Le chevalier Calogrenant verse l’eau sur le perron de la fontaine merveilleuse et déclenche la tempête ; il se retourne pour affronter le gardien, Esclados le Roux, sorti précipitamment de son château, illustration dans un manuscrit datant des années 1325.

Alors certes, Yvain ou le Chevalier au Lion ne m’a pas emportée comme un tome du Trône du Fer mais cela ne retire rien au merveilleux qui est omniprésent dans le récit. Les surprises étaient nombreuses et on nage réellement en plein surnaturel grâce à des rencontres originales (eh oui, je songe surtout à celle d’Yvain et du lion, mais à d’autres encore), des créatures assez dérangeantes et des périples qui semblent impossibles au premier abord. Adorant les légendes de chevaliers confrontés au monde féerique, je n’ai pas été déçue par les aventures d’Yvain bien qu’il ne soit pas, à mes yeux, le chevalier le plus intéressant de la Table Ronde. Son récit est tout de même agréable et pour les plus curieux, cela sort de l’éternelle romance de Lancelot et Guenièvre car la romance entre Laudine et Yvain est moins barbante (merci l’ours pour l’adjectif, un tel mot ne me surprend pas venant de toi, mwéhéhé).
Enfin, elle reste tordue hein. Tomber amoureux d’une femme qui se lacère le visage et s’arrache les cheveux, c’est toujours comique d’un point de vue extérieur.
Mais c’est précisément ce que j’aime dans les vieilles légendes ! Me dire, en pleine lecture « Mec, on a vraiment pas les mêmes problèmes dans la vie ! » et ces moments absurdes me font tellement sourire (je vous rassure, j’évite le plus possible de rire du malheur des autres) que j’en redemande. Bref, je n’arrive même pas à décider si ce côté too much est un défaut ou un bon point… Mais quand c’est pour le Graal, c’est un bon point !

Surtout quand on visualise le Yvain de la série Kaamelott menée par Alexandre Astier.

Yvain ou le Chevalier au Lion n’est donc pas mon récit arthurien préféré mais il compte de nombreux passages que j’ai aimés (les deux sœurs rivales de la Noire Épine, le lion attaqué, le château de la Pire Aventure avec les trois cents vierges qui y résident…) et j’ai été ravie de connaître les exploits de ce chevalier.

J’attendais de faire enfin mon post pour le Challenge des Légendes Arthuriennes pour enfin écrire cette chronique et qu’elle trouve sa place parfaite parmi mes participations :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Bien que mon édition porte le titre de Le Chevalier au Lion, l’œuvre de Chrétien de Troyes est plus connue sous son titre complet Yvain ou le Chevalier au Lion.
• À savoir, petit détail sympa : les éditeurs Le Livre de Poche et GF Flammarion a sorti la plupart des légendes arthuriennes en version bilingue. À gauche, vous avez donc le vieux français et à droite, le français moderne. Un p’tit bonus que j’ai apprécié et j’ai déjà Lancelot ou le Chevalier de la Charrette et Perceval ou le Conte du Graal dans ma PAL.