mardi 14 mai 2013

Parade, de Yoshida Shuichi,

Comme à la parade ! Quatre jeunes gens, qui partagent un appartement dans Tokyo, se racontent à tour de rôle : sa vie, son passé, ses amours, ses travers, ses folies, ses manies, ses secrets. Et lorsqu’un cinquième entre par hasard dans le jeu, son intrusion change la donne et révèle ce qui se trame sous les règles tacites de la communication humaine.
La petite musique de Yoshida Shuichi excelle à décrire ce qui se joue dans le phénomène de la colocation, cette communauté de vies qui est le reflet de la société tout entière. Il s’entend à orchestrer le drame silencieux sous la futilité apparente du monde et nous ramène constamment au mystère de l’autre : celui que nous côtoyons et croyons connaître, celui que nous jouons vis-à-vis d’autrui et de nous-mêmes, entre norme et transgression, peurs et attentes, solidarité et violence.
Quatrième de couverture par Picquier Poche.
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« Pour moi, vivre ici, c’est un peu comme chatter sur Internet. »
P. 128

L’ennui avec les livres peu ordinaires, c’est qu’on a beau les aimer ou les détester, commencer une chronique sur l’un d’entre eux reste une tâche difficile. Parade me pose toutefois un problème précis : ce n’est pas un coup de cœur, juste une très bonne découverte et pourtant, je suis incapable de trouver un défaut à cette histoire intelligente et unique qui l’empêche d’être un bouquin phare comme j’ai l’habitude de l’entendre.

L'auteur, Yoshida Shuichi

Que je pose déjà les bases de Parade. Je pense que la plupart des lecteurs de manga connaissent ces fameuses scènes de la vie quotidienne : un avion qui sillonne le ciel, un chat qui dort sur le rebord d’une fenêtre, un cerisier qui laisse s’envoler ses fleurs… Bref, la tranquillité made in Japan en quelques passages visuels. Du beau dans du simple, du neuf dans du vieux. Lorsqu’on lit Parade de Yoshida Shuichi, sans lire les noms, sans lire les lieux, on comprend immédiatement qu’il s’agit d’un roman japonais puisqu’il use de cette même recette typiquement nippone (parce que nous, les occidentaux, on casse les burnes du lecteur avec des descriptions baroques et on sait tous qu’on aime ça). Cependant, derrière ces moments paisibles et ordinaires, l’auteur dévoile les pensées de ses personnages assez décalées et aux troubles nombreux grâce à des métaphores travaillées. Si le récit peut sembler plat, il reste néanmoins intelligent : ce qui semble au début un groupe de colocataires qui s’entendent a priori bien devient en fait une réunion d’étrangers qui cachent leurs secrets, montrant uniquement leurs bons côtés pour pouvoir rendre la vie commune plus facile.

Le genre de scènes mentionné plus haut. Certains ont peut-être reconnu les screens de La Traversée du Temps ?

J’ai aimé le style, ou plutôt, j’ai aimé la traduction : simple, rapide et clair, on ne se perd pas dans des tirades intellectuelles évidentes mais plutôt des soupçons de réflexion, juste de quoi guider le lecteur sans le prendre pour un abruti. Les personnages sont également suffisamment creusés pour un bouquin de 300 pages, rendant le tout divertissant et intéressant, car si les relations entre eux sont complètement superficielles, leurs points de vue, eux, sont véritables et communiquent une vérité perturbante.
« Ils avaient l’air visiblement mal à l’aise, tous les deux. Par un beau matin, à une table où sont servis des toasts grillés et beurrés et du café chaud, voilà qu’un jeune homme en slip se met à chialer brusquement sans raison particulière. »
P 63-64


Mais y a-t-il une histoire, concrètement ? Oui et non, il s’agit de tranches de vie vécues par cinq japonais dans le Tokyo moderne. Yoshida Shuichi ne commet pas l’erreur de reprendre la même scène tout au long du récit et de la répéter par cinq narrateurs différents (ce genre d’exercice est toujours risqué et il suffit de voir comment ça n’avait pas marché dans Angelica d'Arthur Phillips…), se débrouillant avec des intrigues bien distinctes. Une affaire de proxénétisme douteuse chez le voisin, un tueur misogyne qui sévit dans les environs, des infidélités, des doutes… Et même une route où les voitures semblent refuser de créer un carambolage. En fait, ce n’est pas les intrigues qui nous intéressent dans Parade et pourtant, elles prennent une importance inattendue et arrivent à nous surprendre au détour de quelques pages.

Parade est donc un roman court mais réfléchi, où la réflexion tient plus de place que l’action. Ne vous laissez pas influencer par la belle couverture qui pourrait figurer sur un magazine de mode, Parade est dans le fond une étude froide et parfois effrayante sur les relations sociales, rappelant cette éternelle question : est-ce que nous connaissons vraiment les personnes de notre entourage ?

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Yoshida Shuichi a remporté le prix Yamamoto avec Parade.
• Le roman a été adapté en 2010 par Isao Yukisada, avec Tatsuya Fujiwara dans le rôle de Naoki, Karina pour Mirai, Shihori Kanjiya pour Kotomi, Kento Hayashi pour Satoru et enfin, Keisuke Koide pour Ryosuke.

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